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Le mot du réalisateur

Le projet de partir est né de deux besoins : l’aspiration à l’éloignement, afin de remettre ma vie et ma philosophie en question, un Into the wild à moi mais sans jamais me perdre en pleine nature dans une cabane au fond des bois, bien au contraire ! C’est en cela que se trouve la deuxième nécessité, une envie d’aller à la rencontre des Français, dans un moment où je perdais totalement confiance envers mon pays. Et en tant que passionné d’images, en rapporter des photographies, et peut-être un film. À la base, il ne s’agissait ni plus, ni moins de cela. Sans plus de questionnement. Après plusieurs tentatives, j’ai réussi à quitter mon travail, avec l’idée immédiate de plier bagage. Je voulais partir seul. Et puis, il y a la peur.

Fin 2014, mon ami Inanis me raconte qu’il vient de commencer un projet similaire sur Paris. Il rencontre les gens dans la rue, leur demande un instant, parle avec eux, prend une photo, et rapporte leur histoire sur les réseaux sociaux. Janvier 2015, lors d’un déjeuner, je lui propose de m’accompagner dans un voyage de cinq mois à travers la France, ce qui lui permettrait d’étendre son projet sur une population plus large. A une seule condition, qu’il m’aide à faire un film. Il accepte immédiatement. Départ prévu le 15 mai 2015.
Faire un film, mais sur qui, et sur quoi ? Il nous restait à peine 4 mois pour préparer notre départ, tracer notre trajet, monter notre projet, et trouver un sujet de film. J’ai d’abord demandé à Inanis s’il souhaitait le co-réaliser. Il a préféré me laisser les rênes, se concentrer sur ses portraits, et surtout me laisser le soin d’apporter ma propre vision au film. Nous parlons alors beaucoup de notre projet autour de nous, je reste convaincu que le sujet du film viendrait sur la route. Erreur nous assure une journaliste, une créatrice d’un festival dédié au documentaire, et une monteuse professionnelle, croisées un soir dans un bar à quelques semaines du départ. «â€ŠSi tu pars sans sujet, c’est sûr, tu vas te perdre ». J’ai la boule au ventre, avec le sentiment de partir dans quelques jours sans rien avoir de concret, et sans pouvoir, s’il le fallait, alors que cela ne m’avait jamais posé problème jusque là, justifier mon départ. Le sujet du film est arrivé un peu plus tard. Un soir en rentrant chez moi, je me suis assis et me suis mis à réfléchir. « Pourquoi tu pars ? ». Mon regard a été attiré par le livre que j’allais commencer d’ici peu. Posé là, éclairé par la lampe de mon bureau. Je l’ai pris dans mes mains et relu une énième fois son titre. Je venais de mettre des mots sur mon départ, et trouvé par la même occasion mon sujet. J’ai immédiatement commencé la lecture de Éloge de la fuite de Henri Laborit.
Partir loin du tumulte et du stress de la ville, de mon travail, du quotidien, de mes échecs amoureux. Mais dans quel but ? Dans quel intérêt ? Pour aller où ? Et y trouver quoi ? La fuite vers l’avant, voilà ce que je suis en train de vivre ? J’ai alors pensé à toutes les fuites possibles et inimaginables. La fuite politique, la fuite d’un pays, la fuite de la guerre, la fuite sociale, la fuite de l’amour, la fuite de la vie, la fuite dans (et de) la religion. Y a t-il une bonne raison, et une bonne manière de fuir ? Dans son livre, Laborit a cette image : En mer, quand un bateau est face à une tempête, il a deux solutions. La première est de l’affronter. Il peut alors s’en sortir comme aller vers le naufrage. La deuxième est la fuite. Il accepte l’imprévu de la situation et s’engage dans une autre direction, se laissant la possibilité de découvrir un autre horizon, plus clément, mais inconnu. C’est en cela que le sujet de la fuite m’a passionné. Pourquoi ne pas affronter sa vie, ses peurs ? Qu’est-ce qui nous pousse à aller vers l’inconnu ?

Je suis donc allé interroger ceux qui, comme moi, ont ce questionnement, ceux qui ont trouvé ou non leur bel horizon, ceux qui le cherchent ou encore ceux qui n’ont jamais eu l’envie de le chercher. Que pensent-ils de la fuite, de ce mot qui a toujours une consonance négative ? L’acceptent-ils ? En ont-ils conscience ?

Partir, ailleurs, près, loin, est-ce vraiment
fuir ?

De l’idée à l’image

Il a été difficile pour Julien de donner une direction à Inanis (chef opérateur sur ce projet) au début du voyage. Il ne savait pas encore que ce film parlerait de lui, de sa propre fuite à travers les témoignages d’autrui. Il n’a jamais été évident pour lui qu’il soit filmé. Il a fallu attendre deux semaines, et qu’un soir alors qu’ils étaient installés dans le jardin de leurs hôtes, sous leur tente, Inanis et Julien aient une discussion les amenant à cette conclusion : Faire de ce documentaire un road-movie initiatique, partant du questionnement de Julien, tout en mêlant une poésie de l’espace à une vision sociale de la France et des Français.

De l’océan à l’écran
La direction du film a été trouvée à Quiberon, en bord de mer, dans une impasse se nommant Le bout du monde. « Il n’y a pas de hasard » s’amuseront à dire Inanis et Julien pendant tout le reste du voyage. Et c’est donc naturellement que le début du film prend forme quelques mois plus tard, lors du montage. Sur les premières images, Julien face à l’océan, semble réfléchir à ses différents questionnements sur le voyage et la fuite.
En début de voyage, les images de Julien sont assez riches. Inanis prend l’habitude de le filmer dans toutes sortes de situations. Déstabilisé au départ par la caméra, Julien se laisse prendre à son propre jeu, mais garde toujours un œil sur la caméra. Laissant toute liberté à son camarade, il fait attention de ne jamais trop montrer son visage. L’idée étant qu’au final, le spectateur puisse s’identifier à lui, son chemin, ses pensées. Mais surtout, que le film se concentre avant tout sur les discours des différentes rencontres. Une priorité.

Les paysages prennent naturellement leur place pendant le tournage. Des heures et des heures de film de route sont enregistrées avec la caméra sportive. Les deux voyageurs optent pour de plus en plus d’arrêts en bord de route. Ils sortent leurs caméras, prennent toujours le temps de visiter, mais toujours en laissant l’intuition les guider. Cette intuition les mènera très souvent dans des impasses, là où ils trouveront la plus part du temps, le soir venu, un foyer acceptant de les loger.
Il arrive dans certains cas, que face à certains paysages, certaines rencontres, les stylos, carnets, et caméras restent dans les sacs. Ces moments rares, seront gardés à tout jamais par les deux voyageurs. Sans se concerter afin de savoir s’il faut sortir le matériel ou non, ils le sentent ; ces moments resteront pour eux. Ils se vivent, mais ne se racontent pas.
Les mers et les montagnes défilent. Les paysages se suivent mais ne se ressemblent pas. Chaque région est filmée avec une sensibilité différente, avec son propre langage, amenant au film une poésie du territoire sans pour autant faire du documentaire une carte postale. Le leitmotiv : que les paysages raisonnent aux discours des interlocuteurs.

Au total, près de quatre vingt dix heures de film seront tournées, dont une trentaine d’heures d’interview. Ces dernières seront soigneusement écoutées, notées au retour. Et puis, l’impensable arriva.


Des déboires à l’espoir
Tout commence avec une sensation de liberté, le départ. Il y a tout d’abord cette sensation d’herbe coupée sous le pied. Revenir sur Paris une semaine après… et à plusieurs reprises. Si Inanis et Julien n’eurent quasiment aucun problème sur les routes pour se loger auprès des inconnus chez qui ils frappaient tous les soirs (deux nuits en camping sauvage en tout sur 5 mois), ils n’eurent pas autant de chance avec le matériel. Partir en Renault 4L, avec une tente 3 places, deux caméras, un micro cravate, un micro Zoom, une caméra sportive et 2 disques durs, n’aura pas toujours été d’une grande facilité à gérer. Le micro cravate pour commencer, qui se mit à dysfonctionner au bout d’une semaine après le départ, au moment où Inanis et Julien se trouvaient en Vendée. Premier retour sur Paris. Puis sur Nantes lorsque la caméra sportive se décrochant du pare choc de la 4L, se fasse écraser par un autre véhicule. Inutilisable ensuite, un deuxième achat amputa amplement le budget du voyage. S’en suit un cardan avant de la voiture à remplacer, deuxième passage sur Paris. Une impressionnante fontaine d’essence sortant du réservoir due à la chaleur sur Arras, la tente n’étant pas neuve lâche au milieu du voyage, une crevaison sur Menton et une roue qui commence à se faire la malle avant la traversée pour la Corse.

Tout cela aura été finalement bien peu de déboires pendant cinq mois. Peu de choses sur 21000 km. Puppy, la 4L nommée comme cela en hommage au film Un singe en hiver, a été bien solide et aux dernières nouvelles se porte toujours bien. Elle continue de voyager de temps en temps avec Julien. Tous ces problèmes ont donc vite été oubliés au retour.

Pourtant, fin 2015, alors que Julien commence à trier les vidéos destinées au film, dans une mauvaise manipulation toutes les données sont perdues. L’unique disque dur contenant les images (aucune sauvegarde n’ayant encore été faite à ce moment-là) passe entre plusieurs mains, et il n’est récupéré que 30% des données. Pas de quoi faire un film. Début 2016, le disque dur atterri finalement entre les mains de Jean-Luc, que Julien appelle « Le magicien ». Dans un communiqué sur le site internet du projet, Julien est heureux d’annoncer que 95% des données ont été récupérées. Le montage du film peut commencer.

A l’heure où sont écrites ces lignes, le film n’est pas encore terminé. Il faut attendre la fin du montage et ensuite passer entre d’autres mains de magiciens, mais cette fois-ci du son et de l’image. C’est en cela que les partenaires sont importants. Le mixage son, comme l’étalonnage sont deux étapes essentielles pour un film. Sans eux, le documentaire ne pourrait voir le jour. Avec l’aide de nos partenaires, nous pourrons aller jusqu’au bout du projet, et enfin voir l’aboutissement de ce film qui est devenu avec le temps, et par les évènements tragiques de ces deux dernières années, un projet important, une vision et un discours social différent de ce que les documentaires peuvent proposer aujourd’hui.

Le réalisateur
Après 3 années d’études en arts appliqués, Julien Ysebaert a été directeur artistique au sein d’un groupe de presse et d’édition. Il crée en 2014 sa propre société de graphisme, photographie et réalisation.

Sa passion pour la photographie et sa pratique le conduisent tout d’abord à réaliser des vidéos sans histoire, mélangeant des plans contemplatifs.

En 2011,  il se lance dans la réalisation de son premier court-métrage Dimanche, puis réalise un documentaire pour le designer Thomas Bastide, célèbre pour son travail avec la marque Baccarat. En 2014, il réalise son deuxième film En forêt, les souffles sombrent distribué par Gonella Productions, ainsi que le court-métrage Murmures d’un Homme sur l’artiste peintre Franck-E Rannou, produit par les éditions By The Art.

Il expose également son travail photographique à Paris en 2008 avec Au cœur de la Roda, en 2009 avec Deuxième vie, en 2010 avec Inside America, en 2011 avec Cuba, en 2014 avec Ah Si !, participe en 2015 à l’exposition Homme/Femme  pour la galerie Starter et met en avant les habitants d'un petit village du Perche en exposant  Les visages de Saint Victor de Buthon pour Mutinerie Village en 2018.

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Le chef opérateur

Inanis est un photographe portraitiste français, indépendant depuis janvier 2015. Titulaire d’un master en réalisation publicitaire, Inanis (de son vrai nom Nicolas Tath) a créé sa société de photographie/vidéo en 2012. Il travaille notamment comme reporter photographe. La comédie musicale Love Circus (pour Lagardère Unlimited), le festival Music Expo, les écoles Sup de Pub et Parsons School, les marques Repetto Paris et BR Performance lui ont notamment fait confiance.

Inanis a exposé par deux fois : en 2012 à la Galerie Lee pour sa série Kampuchea, une vision intime sur le Cambodge, et en 2013 au Baron Montorgueil pour un travail de réflexion de la réalité. En 2013, Inanis a également travaillé comme chef-opérateur sur le moyen métrage En forêt, les souffles sombrent de Julien Ysebaert.

En janvier 2015, Inanis démarre le projet #365 qui deviendra Dans quel monde je suis, une série de portraits photo/texte parallèle au film
Dans quel monde je fuis, qui étudie la singularité des gens.

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